Depuis le siècle dernier, 66 % des espèces de papillons recensés en France ont disparu d'au moins un département.
Soit, deux espèces de papillons sur trois !
Les scientifiques constatent également une diminution inquiétante de la diversité et de l’abondance des papillons de nuit, qui représentent tout de même 90 % des espèces de papillons en France et dans le monde.
Cela est d'autant plus inquiétant qu'une récente étude à montré que ces papillons sont d'excellents pollinisateurs (eh oui, la pollinisation se fait aussi de nuit) et sont aussi indispensable pour l'agriculture que les abeilles ou les bourdons.
Pas très encourageantes ces nouvelles n'est-ce pas ?
Mais, rassurez-vous, nous pouvons agir pour inverser cette situation.
En effet, l’ensemble de nos jardins (environ 1 million d’hectares) couvrent une surface bien plus importante que celle de toutes les réserves naturelles (305 691 ha) et les cœurs de parcs nationaux métropolitains (429 500 ha) réunit.
Alors, avis aux amateurs de papillons : vous pouvez transformer votre jardin en véritable refuge pour papillon et par la même occasion améliorer considérablement la pollinisation de votre potager.
Dans cet article, non seulement je vais vous montrer étape par étape comment faire, mais également vous dévoilez les 15 fleurs essentielles pour les attirer et les conserver durablement dans votre jardin.
Cela vous intéresse ?
Alors, installez-vous confortablement, prenez une boisson chaude et c'est parti !
Qu'est-ce qui distingue un "jardin bio" avec beaucoup de papillons d'un autre "jardin bio" avec trois pauvres papillons ?
C'est ce que je vais vous expliquer dans les prochains paragraphes.
Facteur 1 : La plante-hôte
Dans la grande majorité des cas, la source n°1 du problème est le manque de plantes favorables à la ponte des papillons.
En effet, les papillons sont des insectes très particuliers puisque la femelle de chaque espèce ne pond que sur une plante (ou famille de plante) bien précise.
On appelle cette plante, la plante-hôte.
La cause de cette spécificité : la coévolution ou histoire évolutive commune des plantes et des insectes.
Lorsque les lointains ancêtres des papillons ont choisi des plantes comme ressource alimentaire, cela a eu pour effet d’exercer une pression de sélection sur ces plantes, diminuant ainsi leur chance de survivre et donc de se reproduire.
Pour survivre, elles ont mis en place des systèmes de défense pour tenter de se débarrasser de ce nouvel ennemi.
Par exemple la sécrétion de substances toxiques.
En parallèle, les papillons ont mis en place des adaptations leur permettant de digérer ces substances toxiques et de continuer à s’alimenter sur la plante cible.
Cela leur a permis de se spécialiser et donc d’exploiter des sources de nourritures jusqu’ici ignorées par d’autres insectes.
Ainsi, on peut voir la co-évolution comme une course à l’armement où chaque partie tente de surpasser l’autre pour sa propre survie.
Cependant, au bout d’un moment, les changements effectués par le papillon ont été tellement radicaux, qu’il ne peut plus s’alimenter sur d’autres plantes.
La relation spécifique que nous observons aujourd’hui entre un papillon et certaines plantes-hôtes est le résultat de ce processus.
À retenir : pas de plantes-hôtes, pas de papillons !
Facteur 2 : Les plantes nectarifères
Les papillons sont des insectes avec un régime alimentaire différent selon le stade de vie.
Nous venons de voir que la chenille est phytophage et se nourrit de plantes bien particulières afin de mener à terme sa croissance.
L’adulte, contrairement à la chenille, se nourrit en grande partie d’une substance sécrétée par les plantes, le nectar.
Il est constitué d’eau, de sucre, d’acides aminés et de protéines.
Cette substance possède, par son goût ou son odeur, un fort pouvoir d'attraction sur les insectes.
Il existe différents types de nectar.
Leur composition va varier selon les plantes, mais aussi selon différents paramètres tels que l’altitude ou la température. Il en résulte une concentration plus ou moins forte en sucre.
Ceci va directement influencer les caractéristiques du nectar, notamment sa viscosité.
Chaque animal utilisant le nectar comme source d’alimentation a dû choisir des types de nectar adapter à ses organes alimentaires.
Chez les papillons, qui utilisent leur trompe pour « boire » le nectar, ce sont les nectars peu visqueux qui sont particulièrement recherchés, car plus faciles à récupérer et à assimiler.
À retenir : pas de sources de nectar, pas de papillons !
Facteur 3 : une mosaïque d’habitats interconnectés
Celui-là de facteur, je pense que vous ne l'aviez pas vu venir, non ?
Eh oui, comme tous les animaux, les papillons ont aussi besoin de se déplacer.
Sans la possibilité de se déplacer efficacement, ils ne pourraient pas survivre aux prédateurs, se reproduire ou encore s’alimenter.
Malheureusement, même s’ils peuvent voler, leurs déplacements sont assez limités (pour les papillons non migrateurs).
Ainsi, avoir un jardin comportant une mosaïque de milieux différents est essentiel pour permettre aux papillons de satisfaire tous ces besoins sur une courte distance.
Pour illustrer cette importance, on va faire un petit exercice ensemble.
Petit exercice :
Fermez les yeux et imaginez-vous 5 minutes à la place d’un papillon.
Vous êtes dans une prairie fleurie, vous butinez tranquillement lorsqu’une ombre vous passe au-dessus de la tête.
C’est un oiseau qui cherche son déjeuner !
Vous paniquez et cherchez un endroit pour vous abriter.
Malheureusement, le bosquet d’arbustes le plus proches est à plus de 100 mètres.
Voilà pourquoi il est très important d’avoir une multitude de milieux différents dans votre jardin et de garder une forme de connectivité entre ces milieux.
Cette recommandation est très largement admise par la communauté scientifique.
On peut citer par exemple les travaux de Anne Villemey et son équipe en 2015 dont l'objectif principal était de mesurer l’abondance et la diversité des papillons dans 18 paysages différents en Bourgogne, Aquitaine et Gascogne.
Les résultats ont montré qu’un paysage combinant plusieurs éléments paysagers, tels que des bosquets d’arbres et des prairies, augmenter la diversité et l’abondance des papillons de 25 à 50 % par rapport à un paysage comportant uniquement des prairies.
À retenir : pas de mosaïque d’habitats, pas de papillons !
La solution pour attirer les papillons
Pour transformer votre jardin en paradis pour papillons, je vous propose une méthode qui se base sur les recommandations des scientifiques impliqués dans la conservation des lépidoptères (nom scientifique des papillons).
Je l’ai baptisé méthode R.A.H :
- Reproduction : améliorer le nombre de pontes dans votre jardin
- Alimentation : fournir une alimentation de qualité aux papillons
- Habitat : créer une mosaïque d’habitats dans votre jardin
Cette méthode peut paraître simpliste de premier abord, mais elle a fait ses preuves dans de nombreux jardins (dont le mien).
Étape 1 (R) : Planter et conserver des plantes-hôtes
Pour cela vous devez connaître la plante-hôte du papillon que vous souhaitez attirer.
Je sais que ce n'est pas toujours facile, surtout si vous débutez dans le monde des papillons.
Pour vous permettre d’avoir facilement une belle diversité de papillons, j'ai sélectionné les 5 plantes-hôtes indispensables.
N°1 - L’ortie dioïque (Urtica dioica)
Elle est considérée par beaucoup de spécialistes comme la reine des jardins à papillons.
En effet, bien quelle n'ait aucune valeur nectarifère, elle est (très) importante pour 36 espèces de papillons en France, dont au moins 4 qui lui sont strictement liées pour la ponte et donc le développement des futures chenilles.
Parmi ces espèces, on retrouve certains des plus beaux papillons de France tel que le Paon de jour (Aglais io) ou la Petite tortue (Aglais urticae).
Alors, si vous avez déjà quelques orties, surtout ne les arracher pas !
Aucune trace d’ortie dans votre jardin ?
Ce n’est pas grave, vous pouvez en semer directement.
Désormais, on trouve des graines un peu partout (Amazon ou encore semencier en ligne).
Pour la garder sous contrôle, l'idéale est de l'installer en bordure, dans un coin garnit d'arbustes, derrière le compost ou un autre endroit mi-ombragé.
Si vous n’avez pas beaucoup de place, elle se prête également très bien à une culture en bac.
Concernant leurs exigences de culture, les orties se plaisent dans un sol riche et humide, mais toujours bien drainé.
Les premiers mois, arroser abondamment, ensuite l’ortie ne demande pas d’entretiens.
Période de floraison : juin à octobre
N°2 - La bruyère commune (Calluna vulgaris)
Plante d'une importance primordiale si l'on souhaite attirer les papillons au jardin.
En effet, elle a une valeur nectarifère élevée et est particulièrement importante pour plus de 84 espèces de papillons.
C'est par exemple la principale plante-hôte de l'Azuré de l'ajonc (Plebejus argus), de l'Azuré des nerpruns (Celastrina argiolus) et de l'Azuré des genêts(Plebejus idas).
En bonus, c'est une espèce très intéressante pour les abeilles domestiques, car elle peut avoir une production mellifère pouvant atteindre les 30 kg/ha.
La callune (bruyère commune) exige un emplacement ouvert et ensoleillé.
Période de floraison : août à septembre.
N°3 - Le lotier corniculé (Lotus corniculatus)
Plante avec une valeur nectarifère élevée et très importante pour 50 espèces de papillons en France.
Elle est fréquemment visitée par une multitude de papillons et surtout c'est la plante-hôte de plusieurs espèces comme le Point de Hongrie (Erynnis tages), l'Argus bleu (Polyommatus icarus) ou encore l'Azuré du trèfle (Cupido argiades).
Je la recommande vivement pour une prairie sauvage implantée près de la maison.
En revanche, elle est moins adaptée aux pelouses rases ou seulement dans de grands ilots non tondus.
Période de floraison : mi-août.
N°4 - L'origan commun (Origanum vulgare)
Elle est particulièrement importante pour 62 espèces de papillons en France.
Par exemple, ses feuilles sont une source de nourriture importante pour les chenilles de l'Azuré du serpolet (Phengaris arion).
L'origan est donc une plante vivace incontournable dans les jardins souhaitant accueillir durablement des papillons.
Riche en pollen et en nectar, c'est aussi une plante mellifère importante pour les abeilles et les bourdons.
Espèce décorative et peu exigeante, elle est, selon moi, indispensable dans les jardins où l'on souhaite introduire un aspect champêtre.
L'origan se cultive sans problème en situation ensoleillé, préfère les sols moyennement riches et se propage facilement par semis spontané.
Période de floraison : juillet à octobre.
N°5 - La vipérine commune (Echium vulgare)
Importante pour 50 espèces de papillons en France, c'est également la plante-hôte de l'Écaille cramoisie (Phragmatobia fuliginosa) et d'autres Écailles (papillons de nuit).
Fréquemment visité par une douzaine de papillons tels que le Flambé (Iphiclides podalirius) ou le Moro-sphinx (Macroglossum stellatarum)
C'est aussi une plante mellifère importante.
D'ailleurs, les abeilles apprennent vite que seules les fleurs rouges fraichement écloses sont riches en nectar.
La vipérine se propage très facilement dans le jardin s’il est ensoleillé et chaud, mais sans pour autant devenir envahissante.
De plus, grâce à son enracinement profond, elle est particulièrement recommandée pour fixer les talus.
Période de floraison : juin à septembre.
Éviter de tondre ou désherber entre avril et juin.
En effet, vous risqueriez de :
- Détruire les plantes hôtes
- Détruire les pontes
- Bouleverser les cycles biologiques d’autres espèces utiles
Étape 2 (A) : Planter et conserver des sources de nectar
Afin d’apporter une alimentation de qualité durant la pleine période d’activité des papillons, je vous recommande 10 plantes complémentaires à celles déjà citées précedement.
Voici la liste :
- Knautie des champs (Knautia arvensis)
- Ciboulette (Allium schoenoprasum)
- Lavande (Lavandula spica)
- Bourdaine (Rhamnus frangula)
- Marjolaine (Origanum majorana)
- Centauré jacée (Centaurea jacea)
- Framboisier (Rubus idaeus)
- Mauve sylvestre (Malva sylvestris)
- Echinops à tête ronde (Echinops sphaerocephalus)
- Hysope (Hyssopus officinalis)
Vous n’êtes pas obligé de toutes les planter, la moitié est déjà bien suffisante.
Certaines sont sauvages et pousse naturellement dans votre jardin.
Pensez à les conserver.
En plus d’être nectarifères, certaines sont aussi mellifères, c’est-à-dire directement utilisables par les abeilles.
Que du bonheur !
Enfin, ces 10 plantes apporteront de nouvelles sensations olfactives avec la lavande ou le marjolaine et raviront vos yeux une fois fleuris.
Si vous voulez découvrir d'autres fleurs indispensables pour la biodiversité et la santé du potager, je vous recommande de lire mon article : les 11 meilleures fleurs pour le potager, selon la science.
Attention à l'Arbre à papillon !
Avant de clore cette étape, j’aimerais vous parler d’une plante dont on m’a beaucoup parlé.
Vous la connaissez surement, c’est le fameux arbre à papillon ou buddleia (buddleia davidii).
Surtout, ne tombez pas dans son piège.
Certes, une fois fleuri, il est très beau et plein de papillons, mais il est préférable de l’éviter si vous souhaitez garder durablement des papillons dans votre jardin.
En effet, cette plante a recours à une stratégie assez sournoise.
Elle émet des odeurs très fortes qui sont attractives, et présente une couleur mauve qui attire beaucoup les papillons.
Cependant, elle a un nectar pauvre en qualité et pauvre en sucre (autour des 30% alors que d'autres plantes vont jusque 70%).
Les papillons qui se laissent berner dépensent plus d’énergie à polliniser cette plante pour finalement en retirer qu’un très faible avantage énergétique.
De plus, ses feuilles renferment une molécule, l'aucubine, qui est toxique pour les chenilles et autres insectes.
Originaire de Chine, le Buddléia a été introduit délibérément pour l’ornement en France par le père David, en 1869.
Il est considéré à ce titre comme une espèce exotique envahissante (EEE).
Ainsi, le buddléia peut former rapidement des peuplements monospécifiques denses qui peuvent exclure localement d’autres espèces.
C’est exactement le contraire de ce qu’on souhaite pour notre potager ou jardin à papillon.
Pour résumer, le buddleia se présente comme une espèce qui contribue à la sauvegarde des papillons, mais en réalité il prend la place d'autres espèces amies des papillons.
Alors, pour le bien de votre futur jardin à papillon, oubliez-le !
Étape 3 (H) : Créer et conserver une mosaïque d’habitats
Nous l’avons vu dans une partie précédente, la composition paysagère de votre jardin peut être décisive pour accueillir une forte diversité de papillons.
Pour mettre en place cette fameuse mosaïque d'habitats, voici 6 actions issues de la recherche scientifique sur la conservation des papillons :
- Planter des arbres / créer un verger.
- Créer des bandes enherbées autour de votre potager.
- Créer un espace dédié à une prairie fleurie.
- Maximiser les effets de lisières en combinant bandes enherbées et haies.
- Si possible garder des éléments semi-naturels (arbres déjà présents sur votre terrain, bosquets d’arbustes sauvages, carré d’orties sauvages, etc.)
- Dans la mesure du possible, connecter tous ces éléments pour faciliter le déplacement des papillons. Vous pouvez, par exemple, installer une prairie fleurie entre un bosquet et un champ d’orties.
Étape 4 (Bonus) : Améliorer vos connaissances
Pour attirer les papillons de vos rêves, il est très utile de comprendre leur cycle de vie, de reconnaitre certaines espèces ou encore de connaitre leurs plantes-hôtes.
Pour cela rien ne vaut les livres spécialisés.
Je vous en recommande 4 (non, je ne suis pas affilié à Amazon) :
Guide photo des papillons d’Europe (Tari Haahtela, Hannu Aarnio ,Pekka Ojalainen,Kimmo Saarinen)
Parfait pour débuter et apprendre à reconnaitre les papillons visuellement grâce à de magnifiques photos.
Guide pratique des Papillons de France (Jean-Pierre Moussus, Alan Cooper, Thibault Lorin)
Très pratique comme livre avec des cartes départementales de chaque papillons pour savoir quelles espèces est susceptible de venir visiter son jardin.
Papillons de France : Guide de détermination des papillons diurnes (Tristan Lafranchis)
Considéré par beaucoup (et moi aussi) comme la bible des passionnés de papillons.
Des papillons dans mon jardin. Comment les attirer avec les plantes appropriées (Bruno Kremer)
Une mine d'or pour améliorer ses connaissance sur les papillons, leurs plantes-hôtes et comment les attirer.
On est prêt à acceuillir les papillons, capitaine !
Avec la méthode présentée dans cet article, vous pouvez espérer dès la première année une augmentation d'au moins 50 % de la diversité de papillons de votre jardin.
D'ici un an ou deux, votre jardin deviendra un paradis apprécié par une multitude d'espèces.
Avec de la persévérance (et un peu de chance), il deviendra peut-être le jardin le plus diversifié de votre département.
Et vous pourrez observer fièrement avec vos enfants ou vos proches de magnifiques spécimens.
Désormais, vous savez exactement quoi faire pour contribuer au retour des papillons.
À vous de jouer !
Hop, hop, hop. Ne partez pas comme ça !
Quels sont vos papillons préférés ? Quelles actions allez vous mettre en place pour les attirer ?
Dites-moi tout en commentaire ( j'ai hâte de lire vos réponses ).
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